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Samedi 19 septembre 2015, 17h à 18h30 – La corruption : enjeux politiques et métaphysiques. Animé par Antoine Peillon, Claire Gruson et Robert Philipoussi.
Jamais, depuis la Libération, notre République n’a été à ce point corrompue. En faire le relevé détaillé sur les vingt dernières années, en prendre toute la mesure, est certes absolument nécessaire et relève, étant donné l’omertà menaçante qui étouffe la presse et interdit le vrai débat public, du « courage de la vérité ». Mais les révélations journalistiques, même les plus significatives, ne sont plus suffisantes.
Alors qu’à l’unisson, policiers, magistrats, journalistes d’investigation, criminologues, sociologues, économistes, anthropologues et philosophes constatent une généralisation de la corruption qui met, selon eux, l’état de droit en péril, tous expliquent aussi que cette décadence de notre République se nourrit de la banalité des conflits d’intérêts et des petits arrangements avec la morale civique. S’ils dénoncent de plus en plus vivement la faiblesse des moyens de lutte contre cette « pathologie de la démocratie », ils prennent aussi conscience que la corruption traverse - au-delà des hautes sphères dirigeantes - chaque conscience, nous plaçant devant le choix, à chaque instant, entre le bien et le mal, la vie et la mort, l’humanité ou la barbarie.
Depuis quelque 3000 ans, sagesses, philosophies et religions ont identifié une métaphysique de la corruption et, en regard, une éthique quasi universelle. En reprendre, à nouveaux frais, la grande leçon aidera à éclairer et mieux motiver celles et ceux qui luttent sans cesse, à différents degrés, contre ce pourrissement palpable de notre monde. Et, peut-être, à susciter chez tous le renouveau d’un désir civique, démocratique et républicain, d’une Cité vertueuse et donc plus heureuse.
Le dimanche 14 juillet 1940, le pasteur, théologien et résistant Roland de Pury[1] faisait, dans son temple de la rue Lanterne (Lyon), une prédiction inspirée, un appel profond à résister[2]. Une prédication « de justice » qui, choisissant d’interpréter le commandement « Tu ne déroberas point ! » (Exode 20, 15), développait une méditation sur la corruption humaine, dont le marqueur essentiel est « le grand vol originel », cette façon de prendre ce qui ne nous revient pas et de ne pas le rendre, et d’être ainsi acheté, ou vendu. Ce dimanche 14 juillet 1940, à Lyon, Roland de Pury pousse sa parole jusqu’à l’oracle historique : « Mieux vaudrait la France morte que vendue, défaite que voleuse. La France morte, on pourrait pleurer sur elle, mais la France qui trahirait l’espoir que les opprimés mettent en elles, mais la France qui aurait vendu son âme et renoncé à sa mission, nous aurait dérobé jusqu’à nos larmes. Elle ne serait plus la France. »[3] Vendre son âme… Belle définition métaphysique de la corruption ! Belle apostrophe prophétique, en « patois de Canaan »[4], mobilisant « la vivacité, la vigueur, parfois la verdeur, d’une langue et d’une pensée qui puisent dans l’Ancien Testament autant que dans le Nouveau, et se souviennent de la liberté avec laquelle les prophètes, un Jésus, un Paul ont su interpeller les puissants et fustiger, avertir ou consoler leur peuple »[5].
Bibliographie (les essentiels)
- Franz Leopold Neumann, Béhémoth ; Les structures et pratiques du national-socialisme, 1933-1944, Payot, 1987 (Behemoth: The Structure and Practice of National Socialism, 1933 – 1944, Harper, 1944)
- Theodore Zeldin, Histoire des passions françaises, 1848-1945, t. III : Goût et corruption, Seuil, 1981, et Payot, 2003
- Jorge Mario Bergoglio (pape François), "Quelques réflexions sur le thème de la corruption", Plàtica, mars 1991, publié sous le titre Guérir de la corruption, Editions Parole et Silence, L'Embrasure, 2014
- Yves Mény, La Corruption de la République, Fayard, collection L’espace du politique, 1992
- Alain Houziaux (sous la direction d'), Les Affaires, la politique, la justice, Les Editions de l'Atelier, 2005
- Pierre Lascoumes (sous la direction de), Favoritisme et corruption à la française ; Petits arrangements avec la probité, Les Presses de Sciences Po, 2010
- Pierre Lascoumes, Une démocratie corruptible ; Arrangements, favoritisme et conflits d'intérêts, Seuil, La République des Idées, 2011
- Frédéric Monier, Corruption et politique : rien de nouveau ?, Armand Colin, 2011
- Noël Pons, La Corruption des élites ; Expertise, lobbying, conflits d’intérêts, Odile Jacob, 2012
- Éric Alt et Irène Luc, L’Esprit de corruption, Le Bord de l’eau, 2012
- Ibiladé Nicomède Alagbada, Le Prophète Michée face à la corruption des classes dirigeantes, thèse de doctorat, Globethic.net, 2013 + Daniel Schibler, Le Livre de Michée, Edifac (FLTE), 1989
- Fabrice Arfi, Le Sens des « affaires », Calmann-Lévy, 2014
- Antoine Peillon, Corruption, Seuil, 2014
- Esprit, février 2014, dossier : La Corruption, maladie de la démocratie
- Pierre Lascoumes et Carla Nagels, Sociologie des élites délinquantes ; De la criminalité en col blanc à la corruption politique, Armand Colin, 2014
- Collectif, Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, La Découverte, 2014
- Service central de prévention de la corruption (SCPC), La Prévention de la corruption en France : état des lieux, chiffres clés, perspectives, jurisprudence ; Rapport 2014, La Documentation française, juillet 2015
- Benoît Collombat et Étienne Davodeau, Cher pays de notre enfance ; Enquête sur les années de plomb de la Ve République, BD, Futuropolis, à paraître le 31 octobre 2015
Outre le récit du Veau d'or (Exode 32), la Bible, en ses deux Testaments, revient à de très nombreuses reprises sur la corruption ainsi que sur le culte de l’argent comme idolâtrie : Proverbes 3,14-15 ; 8,10 et 16. Écclésiaste 5,9 ; 7,12 ; 31,6. 1 Timothée 3,3 ; 6,10. Matthieu 6,24, et Luc 16,13 : « Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon. » Augustin, Luther et Calvin font également référence en ce domaine…
[1] Roland de Pury (1907-1979) est Juste parmi les nations (notice du Comité français pour Yad Vashem : http://www.yadvashem-france.org/les-justes-parmi-les-nations/les-justes-de-france/dossier-1066/). Dans sa belle biographie du prédicateur de Lyon, Daniel Galland (Roland de Pury ; Le souffle de la liberté, Les Bergers et les Mages, 1994) le dit « pasteur, prophète, résistant ».
[2] Patrick Cabanel, Résister ; Voix protestantes, Alcide, 2012.
[3] Patrick Cabanel, Ibidem, pp. 62 et 63.
[4] Rhétorique utilisant expressions bibliques, tournures empruntée à l’hébreu ou au grec et termes évangéliques. Fait référence au pays de Canaan, terre promise aux Hébreux après leur sortie d’Egypte.
[5] Patrick Cabanel, Op. cit., pp. 20 et 21.